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"Universités: que tirer du modèle américain ?", nouvelle Contribution



Nous avons le plaisir de vous annoncer la publication d'une nouvelle Contribution du Club Changer la gauche: Universités: que tirer du modèle américain ? (télécharger en PDF).

Dans l’économie de la connaissance, la prospérité d’un pays dépend à long terme de sa capacité à innover en formant les meilleurs étudiants et en attirant les plus grands chercheurs. La concurrence entre universités est aujourd’hui internationale, et la France doit faire face aux défis de la situation actuelle. L’université française maintient son rang mais son attractivité et sa visibilité internationales sont relativement faibles : la comparaison avec le système américain permet d’isoler les éléments qui fonctionnent outre-atlantique et qui devraient inspirer certaines réformes en France.

Loin d’inviter à une privatisation complète des universités ou à leur transformation en entreprises, sur le modèle de certaines universités américaines, nous essayons d’imaginer des réformes simples et peu coûteuses qui augmenteraient fortement l’attractivité et la visibilité du système français.

En voici les grandes lignes :

-Assurer de meilleures conditions d’accueil aux étudiants français et étrangers, et leur fournir les moyens matériels de se consacrer à leurs études et à leurs recherches, sans négliger certains détails qui ont toute leur importance.

-Renforcer la coopération européenne et promouvoir un système de recherche européen plus intégré et plus compétitif.

-Créer des
liens entre entreprises et universités pour donner aux étudiants des débouchés correspondant à leur compétence et diversifier le financement des universités.

Nous proposons en outre plusieurs idées nouvelles, à l’image de la création de
bureaux de traduction au sein des universités, ou un mécanisme original de réduction des inégalités entre les différentes universités.

Bonne lecture!

Le système universitaire américain est souvent considéré comme un modèle dont la France devrait s’inspirer sans réserve si elle veut ne pas rester à la traîne de la compétition pour le savoir, fondement de l’économie de la connaissance. Certains d’entre nous ont eu l’occasion d’étudier plusieurs mois dans une université américaine, et ont la chance de pouvoir comparer les deux systèmes. A partir d’observations quotidiennes et de réflexions plus abouties, des idées simples surgissent. Il ne s'agit pas de s’émerveiller sans recul face aux grandes universités américaines, ni de rejeter en bloc un système dont la France a évidemment à apprendre, mais plutôt de repérer les succès aux Etats-Unis, tout en étant lucide sur ce qui fonctionne moins bien, pour mieux imaginer ce dont pourrait s’inspirer l’université française.
Que les grandes universités américaines soient très riches explique en partie –mais en partie seulement– la qualité de leurs programmes de recherche et d’enseignement, dans les universités privées comme dans les universités publiques. Le système est fondé sur une idée simple : n’utiliser que les intérêts produits par une immense somme d’argent bien placée (16 milliards de dollars pour Princeton, 29 pour Harvard, qui sont privées, mais tout de même 3 milliards pour UCLA, une universités publique). Pourtant, en dehors de ces quelques universités à renommée mondiale, qui regroupent principalement les établissements de la
Ivy League et les grandes universités californiennes, les universités françaises n’ont pas tant à envier aux à leurs voisines américaines.
Notre point de vue général sur la situation actuelle est optimiste : il est étonnant de voir à quel point les universités françaises, malgré leurs budgets minuscules, parviennent à maintenir leur rang.
En imaginant que l'université puisse redevenir une priorité politique, sans prendre position sur la question de savoir s’il faut modifier le système dual des grandes écoles et des universités, et surtout sans avoir besoin de budgets comparables à ceux des prestigieuses institutions de la côte Est des Etats-Unis, nous croyons que l’université française peut bénéficier sans difficulté de réformes à budget presque constant. Voici donc quelques idées.

1-  Des universités attractives

On parle beaucoup d'une fuite des cerveaux formés à grands frais par la République et qui vont étudier, puis travailler à l’étranger (voir à ce propos le rapport d’information du Sénat mené par Jean François-Poncet en 2000). Pour compenser ce mouvement, il est urgent de rendre l'université française plus attractive, en particulier à l'égard des étudiants étrangers.

*La langue ne doit plus être une barrière

Tout d’abord, il faut offrir
une masse critique de cours en anglais. La défense de la langue française et de la francophonie, à laquelle nous sommes tous attachés, ne perdrait rien à ce que soient proposés des cours en anglais dans toutes les disciplines. Cela permettrait de mieux former les étudiants français à une langue incontournable dans le monde de la recherche et des grandes entreprises. Elle rendrait également possible la venue en France d'étudiants non-francophones.
Ainsi la langue ne serait-elle plus une barrière pour les étudiants brillants que la France aurait tout intérêt à former et, peut-être un jour, à rendre français. Offrir en parallèle des
formations très rapides et très efficaces à la langue française suffirait le plus souvent à donner aux étudiants étrangers les moyens de suivre des cours en français.

* Une vie matérielle facilitée

Dans un contexte de recherche internationale, les universités sont en concurrence pour attirer les meilleurs étudiants du monde entier. Au sein de la « 
graduate school », équivalente des niveaux master et doctorat du système européen, l’université de Princeton compte près de 45% d'étudiants étrangers brillants auxquels elle verse des bourses dès l’équivalent du master. C’est un investissement très profitable, dans la mesure où la plupart d’entre eux contribueront à la richesse intellectuelle et économique des Etats-Unis. La France pourrait, à faible coût, s’inspirer de ce système. En offrant des bourses dès le master, des avantages en nature, et des possibilités de logement, les universités françaises se mettraient au niveau des grands pôles universitaires mondiaux. En contrepartie, ces étudiants ainsi aidés pourraient remplir des fonctions d’assistant de recherche, d’enseignement ou d’administration, par exemple dans les secrétariats administratifs –qu’il serait enfin possible d’ouvrir tous les jours pendant toute la journée– ou les bibliothèques que l’on pourrait alors garder ouvertes tard le soir, à l’image de ce que l’on observe aujourd’hui dans de nombreuses universités étrangères, au bénéfice évident de l’environnement de travail de tous les étudiants.

* Créer un sentiment d’appartenance

Réunions de rentrée, buffets d’accueil, drapeaux et devises ne relèvent pas aux Etats-Unis du folklore. Ils permettent d’intégrer étudiants étrangers et américains à une même communauté universitaire, et à créer, très vite, un sentiment de fierté et d’appartenance qui stimule l’université tout entière. Il faut montrer aux étudiants, français comme étrangers, qu’ils sont les bienvenus, et renverser l’idée selon laquelle les étudiants doivent constamment se battre pour pouvoir étudier.
Cela commence par un accueil simplifié qui devrait permettre d’accomplir toutes les formalités administratives en une journée, et en un lieu unique. Un effort de communication de la part des universités, qui insisteraient par exemple davantage sur un nom –presque une marque– que sur un sigle ou un numéro renforcerait aisément leur prestige et leur attractivité, en France comme à l’étranger. Un étranger retiendrait ainsi beaucoup plus facilement le nom « Nanterre » que la dénomination « Paris X ».

2-  Une recherche plus compétitive

*Traduire pour s’exporter

De nombreux travaux français de qualité se privent d’un écho international parce qu’ils ne sont pas traduits en anglais. Il ne s’agit pas d’écrire directement les articles en anglais, pour ne pas contraindre
la pensée des auteurs, et pour qu’ils soient accessibles à la communauté nationale. En revanche, chaque université devrait se doter d’une
agence chargée de traduire en anglais ses meilleurs articles. Cette traduction serait assurée par des étudiants anglophones en contrepartie de leur bourse, de la même manière que les doctorants reçoivent aujourd’hui une bourse lorsqu’ils assurent des travaux dirigés.

*Pour un système européen de recherche

La France, et plus généralement l’Europe, connaissent aujourd’hui un dilemme. L’université pourrait choisir d'entrer dans une compétition frontale avec les Etats-Unis, en adoptant leurs références, leurs standards d’évaluation et leur logique du
publish or perish, ainsi que leurs priorités et leurs thèmes de recherche. Mais ce serait évidemment renoncer à une culture universitaire européenne bien distincte de la culture américaine. Ce faisant, l’énergie des universités françaises et européennes pourrait être investie dans la mise en place d’un système européen de recherche, composé de normes, de revues scientifiques, de critères de classement. Si davantage de revues européennes exigeantes sont publiées en anglais, elles viendront concurrencer sans difficulté les revues anglo-saxonnes actuelles. Qu’Oxford et Harvard restent en tête des classements n’est pas un problème, tant que les critères d’évaluation correspondent aux standards européens.

*Valoriser les diplômes étrangers

La
reconnaissance internationale des diplômes, en particulier au sein de l’Union européenne, offrirait à la France un avantage comparatif notable par rapport aux Etats-Unis, où de nombreux étudiants doivent recommencer à zéro leur formation, sans que ce soit toujours justifié. La France accueille déjà un nombre important d’étudiants étrangers (250 000 l’année dernière, dont 47% d’Africains, 25% d’Européens, et 15% d’Asiatiques et d’Océaniens), mais elle gagnerait à se donner les moyens d’augmenter encore ce nombre, en particulier à partir du niveau master. Le programme Erasmus, moteur extraordinaire de la construction européenne, devrait nous inciter à accueillir encore plus d’étrangers.

3-  Quelle place pour les entreprises ?

La gauche a, aujourd’hui encore, beaucoup de mal à envisager un rapport serein entre les universités et les entreprises. Deux pistes méritent pourtant d’être explorées.

*Incitations à l’embauche

Comment offrir aux étudiants français et étrangers des débouchés professionnels à l’issue de leur formation universitaire ? Les universités devraient constituer des services « stages et carrières » efficaces et agressifs, dont la fonction serait à la fois d’aller chercher des stages au sein des entreprises, et d’informer les services des ressources humaines sur les qualités et compétences de leurs étudiants.
Il est également de la responsabilité des personnages politiques locaux de faire entrer en contact les élites universitaires et économiques dans les territoires, pour favoriser la coopération entre universités et entreprises.

*Un nouveau regard sur le financement privé

La crise financière nous enseigne que la gestion privée des universités américaines les soumet aux aléas du marché : leurs ressources étant détenues sous forme de titres financiers, certaines d’entre elles ont des difficultés à payer leurs professeurs. Pourtant, la participation de fonds privés au financement des universités, permise par la souplesse du statut juridique de la fondation, permettrait de lancer des projets universitaires nouveaux ou d’entretenir par exemple un site internet bilingue et de qualité. A long terme, cette solution ouvre des possibilités, et les ressources dont jouit aujourd'hui Sciences Po Paris illustrent bien les avantages potentiels d'un tel système : même si une petite université a plus de difficulté à récolter des fonds que Sciences Po, le fait d’entrer dans cette culture ne peux que bénéficier à tous sur le long terme.
De manière générale, nous pouvons apprendre beaucoup de l’organisation des structures universitaires américaines. En particulier, s’il faut reconnaître les avantages du financement privé, il est utile de rappeler que certaines universités prestigieuses comme UCLA, l’université de Berkeley ou l'université de Virginie sont publiques. Leurs frais de scolarité, certes plus élevés qu'en France, sont néanmoins plus abordables que ceux des universités privées : les frais de scolarité pour une première année de college à UCLA s’élèvent à 8000$ pour un résident californien, contre 35 000$ à Princeton.
Il faut cependant reconnaître aux grandes universités privées une politique d’aides financières très active, qui leur permet d’attirer les meilleurs étudiants en dehors de toute considération financière –c’est une fois qu’un élève qui a présenté sa candidature à Princeton y est accepté que l’université demande des informations sur les revenus des parents, à partir desquelles l’université peut moduler les frais de scolarité au cas par cas. La leçon que nous pouvons tirer pour la France est qu’il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre gestion publique et incitations pour les enseignants et les chercheurs.
Enfin, pourquoi ne pas imaginer, afin de financer des frais de scolarité augmentés dans les universités françaises, un système public de prêt étudiant à taux zéro en vertu duquel chaque étudiant rembourserait le coût de ses études pendant les dix premières années de sa vie professionnelle ?

* Un juste enrichissement

Si l’on encourage l’émergence d’un financement en partie privé, il faut veiller à ce que ne s’accroissent pas les inégalités entre les établissements. En effet, on peut supposer que les universités ou grandes écoles les plus prestigieuses seront naturellement privilégiées.
Un mécanisme redistributif entre établissements de réputations différentes permettrait de réduire en partie ces inégalités. Imaginons que l’Ecole polytechnique et que l’université de Brest se reversent mutuellement chaque année 20% de leurs donations privées. La formation de tels partenariats permettrait de corriger un accroissement des inégalités entre universités, tout en les incitant toutes à lever des fonds.



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