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Taxe carbone et redistribution écologique



Alors qu'est posée en ce moment la question de la taxe carbone, nous vous invitons à (re)découvrir la contribution (télécharger en PDF) que nous avions écrite il y a un an pour proposer un mécanisme fiscal innovant qui intégrerait en son sein l'impératif écologique.


En réponse au défi écologique, une fiscalité nouvelle doit être envisagée. Nous proposons un mécanisme qui permette de gagner en écologie sans perdre en économie, l’objectif étant de réduire le gaspillage de chacun pour augmenter le bien-être de tous. L’idée principale de ce mécanisme serait de taxer dans un premier temps le comportement pollueur ; le produit de cette taxe serait ensuite redistribué aux individus et aux entreprises polluant moins que la moyenne des gens ayant les mêmes caractéristiques qu’eux. Concrètement, celui qui consomme plus que les personnes de sa catégorie paierait l’« impôt vert », et celui qui consomme moins recevrait un crédit d’impôt.

Ce mécanisme présente un avantage triple. D’une part, il incite à un comportement écologiquement vertueux. D’autre part, il constitue un facteur de croissance macro-économique, dans la mesure où il ne nuit ni au pouvoir d’achat des ménages, ni à la compétitivité du pays, et même qu’il les favorise en encourageant l'usage de techniques économes et donc rentables à long terme. Enfin, il permet une redistribution sociale des ressources.

Un tel type de prélèvement est susceptible d’être généralisé à différentes assiettes fiscales. Pour autant, il apparaît particulièrement efficace pour encourager les ménages à réduire leur consommation d’électricité et de carburants.

En matière d’électricité, il pousserait les ménages à organiser la réduction de leur dépense d’énergie, par tous les moyens que l’on connaît (meilleure isolation des pièces, etc.).

En matière de carburants, à une époque où les prix du pétrole semblent augmenter de manière pérenne, le mécanisme que nous proposons pourrait remplacer les exonérations à la TIPP de manière juste et efficace.

Si l’écologie du vingtième siècle s’est constituée autour à de problèmes très divers –droits des animaux, biodiversité, pluies acides, etc.– celle de notre siècle tourne de plus en plus autour d’un problème central : le changement climatique. La question théorique principale n’est donc plus de savoir si les choses non-humaines ont une valeur intrinsèque et indépendante des hommes, mais plutôt de savoir préserver la planète entière de sorte que l’homme puisse y vivre. L’écologie est donc plus que jamais compatible avec le souci de l'homme qui doit caractériser une gauche humaniste.

De surcroît, si la question écologique s’est affirmée comme incontournable dans notre société, cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse recevoir qu’une solution unique, et donc que le sujet écologique soit, comme on le dit souvent, « apolitique ».

En revanche, la dimension globale du changement climatique implique que
chacun, dans toutes ses capacités –producteur, consommateur, parent, voisin, citoyen ou étudiant– doit essayer d’y apporter des solutions. Dans cette perspective, certains débats traditionnels de l’écologie perdent tout leur sens. Entre l’introduction d’énergies renouvelables et la réduction de la consommation, entre solution politique ou solution économique, entre solution globale ou solution locale, il n’y a pas à choisir. Les solutions doivent s’élaborer à toutes les échelles.

En imaginant le mécanisme fiscal que nous allons ici proposer, notre souci a été d’introduire la question écologique au sein d’ambitions économiques et sociales plus larges, de ne plus concevoir l’écologie comme une sphère autonome.


*Efficacité économique


Le premier souci qui a présidé à la conception de ce mécanisme fiscal a évidemment été de contribuer à la lutte écologique. Cependant, cette lutte ne pourra s’inscrire dans la durée si elle est d’emblée conçue comme une opposée à l’efficacité économique. Il faut donc gagner en écologie sans perdre en économie, et même imaginer de défendre simultanément un objectif économique et un objectif écologique. En réduisant le gaspillage, nous augmenterons le bien-être, mais nous promouvrons également les technologies de pointe, ressources essentielles du développement durable.

Les orientations du Grenelle de l’environnement, et plus encore le récent projet de loi qui en traduit les orientations, restent frileux et flous sur la mise en place d’un cadre cohérent de fiscalité écologique –la majorité parlementaire, piégée dans un débat sur le pouvoir d’achat, préférant sous-traiter aux grandes entreprises la conversion aux énergies et formes de vie durables. Il nous semble pourtant que le combat pour le pouvoir d'achat et la lutte écologique peuvent être menées de front et de concert.


*Ambitions sociales


La gauche doit porter les valeurs de justice et solidarité au sein même de la discussion écologique. Pour des raisons d'efficacité écologique, mais aussi pour être fidèle à ces valeurs, on ne peut imaginer de faire peser le coût de l’ambition écologique sur les consommateurs plutôt que sur les producteurs ou les actionnaires des grandes entreprises : chacun doit contribuer selon ses moyens.

Les écologistes ont parfois cherché à obtenir l’appui de la gauche pour instaurer une fiscalité écologique en mettant en avant l’existence d’un double dividende : comme le proposait encore récemment, le pacte écologique de Nicolas Hulot, en augmentant la fiscalité dite « verte » afin de réduire la fiscalité sociale, l'idée était de financer l'action sociale tout en luttant pour l'écologie. Cette proposition, pour séduisante qu’elle soit, nous paraît cependant devoir être écartée.

Tout d'abord, l'idée qui la sous-tend –à savoir que le système fiscal devrait être fondé sur les « maux » comme la pollution plutôt que sur les « biens » comme l'effort au travail ou l'accumulation du capital (épargne et investissement)– doit être réfutée : elle risque de prêter le flanc à un populisme contraire à l’idée même d’impôt. Plus grave, la substitution de l’assiette actuelle pour une assiette « écologique » met en cause, à moyen terme, la pérennité du financement de la solidarité et la nature même du pacte redistributif, puisque le caractère dissuasif des impôts écologiques engendre, si leur succès est réel, la disparition de l’assiette. Le jour où il n’y aura plus de pollution, faudra-t-il renoncer à l’assurance maladie ?
Cette solution reviendrait à mettre en concurrence objectifs écologiques et objectifs sociaux.

Si la fiscalité, qui permet une action incitative et dissuasive, apparaît ainsi comme un outil précieux pour l'écologie, il ne saurait être question de remplacer quelque impôt social que ce soit par un impôt vert : les valeurs de justice et de solidarité ne peuvent être mises en concurrence avec la protection de la planète. Si nous croyons en l’utilité d’introduire une fiscalité verte en France, nous ne sommes pourtant pas prêts à lui sacrifier la recherche de la cohésion sociale et de justice.


1- Modalités de l’impôt vert



* Une contribution redistribuée



Au sein des Etats, la fiscalité constitue un puissant levier pour canaliser les efforts que producteurs et consommateurs peuvent consentir en vue d’un intérêt collectif environnemental. Il favorise, de plus, une distribution efficace du coût de ces choix écologiques. Intégrer dans les prix (des matières premières ou des biens de consommation) le coût social des nuisances écologiques, tel est le principe de la fiscalité verte que nous proposons, afin d’orienter les choix vers les produits et processus moins nuisibles, ou de financer par ses recettes la compensation des nuisances. Nous souhaitons donc orienter par la fiscalité les comportements individuels vers des pratiques respectueuses de l'environnement.

Remarquons que la fiscalité peut ainsi être complémentaire des mécanismes de marché « carbone », car elle permet d’étendre le principe du pollueur payeur aux secteurs caractérisés par la petite taille des entreprises (agriculture, pêche, transport, artisanat…) et aux particuliers.

Cependant
, un impôt vert ne doit pas être utilisé pour financer des dépenses publiques. En effet, l’objectif est de faire évoluer les comportements, et d’avoir de moins en moins à taxer. L’Etat doit souhaiter en la matière que le nombre de pollueur diminue, et ne doit pas compter sur cette source de financement.

Dans cette mesure, il faut renoncer à tirer des ressources étatiques supplémentaires de l'impôt vert. Il nous semble bien plus judicieux d'utiliser le produit de cette impôt pour accroître son efficacité écologique. Ainsi, les contributions que le pouvoir public prélèverait en application de la fiscalité verte ne doivent pas être reversées au budget général de l’Etat. Bien plutôt, cet argent doit être redistribué aux contribuables, par le biais de nouvelles allocations, primes, ou crédits d’impôt. Les recettes ne seraient donc pas affectées au fonctionnement général de l’Etat, mais à une comptabilité séparée dont dépendrait uniquement leur remboursement et les frais de recouvrement.

Ce mécanisme de remboursement doit traduire en pratique l’idée que chacun paie en fonction de sa pollution, et reçoit un transfert en fonction de la pollution des contribuables qui lui ressemblent. Concrètement, l’impôt écologique aboutit à un transfert positif pour les contribuables qui font des efforts de réduction des émissions supérieurs à la moyenne de leur catégorie. Le remboursement permet donc non seulement d'accroître l'efficacité de la fiscalité verte, mais il tend également à rendre neutre l’impact de ces impôts sur la compétitivité de l’économie et sur le pouvoir d’achat des ménages. La fiscalité écologique peut, par sa vertu pédagogique et flexible, être l’outil d’une écologie durable.

Enfin, notons que, parfois, les nuisances ne peuvent être taxées qu’indirectement : c’est le cas lorsque l’on taxe le carburant plutôt que les émissions de CO2 directement. Dans cette situation, les subventions écologiques peuvent compléter l’impôt, pour que soient aussi encouragés les efforts de réduction des nuisances (installation de filtres, etc.) qui ne réduisent pas la consommation.


* Quelle forme prendrait cet impôt ?



L'impôt vert, pour être efficace d’un point de vue écologique, doit tout d’abord être transparent, c'est-à-dire qu'il doit être visible dans les prix. La communication doit accompagner et renforcer les incitations posées par l’impôt. En outre, pour que l'impôt influe sur les coûts relatifs des produits, il doit avoir des taux assez élevés, en rapport avec le coût collectif de la nuisance. Pour autant, les incitations fiscales seront perçues comme justes si elles imposent une charge raisonnable à chacun : l'exigence de solidarité ne saurait être négligée.

En ce qui concerne le schéma de remboursement, il doit atténuer les effets redistributifs indésirés (entre secteurs de l'économie, des pauvres vers les riches, etc.) induits par l'impôt vert.
Un schéma de remboursement efficace et acceptable –car équitable– doit remplir deux conditions: 1) ne pas neutraliser la vertu environnementale de l'impôt (ce qui est actuellement le cas pour les exceptions à la TIPP pour les pêcheurs ou les transporteurs), et donc être indépendant en théorie des nuisances produites ; 2) ne pas aboutir à une redistribution non désirée des ressources : être donc, en pratique, en rapport avec la pollution passée.

Il ne faut donc pas avoir d’attitude idéologique quant aux modalités du remboursement : réduire les charges patronales, comme le suggèrent les avocats du double dividende, suivis en cela par Nicolas Sarkozy, reviendrait à amplifier l'avantage du secteur financier, intensif en main-d'oeuvre, sur l'industrie. Subventionner les transports en commun avec le produit de la TIPP aurait pour conséquence de taxer les départements ruraux au profit des grandes agglomérations.

Pour calculer le barême de l'impôt, il faut tenir compte des spécificités locales et sectorielles afin d’effectuer un
réglage aussi fin que possible : des catégories de ménages doivent être soigneusement définies de manière à encourager les bonnes pratiques écologiques sans sanctionner, par exemple, les familles comprenant quatre enfants, ou les personnes travaillant à domicile, et sans favoriser, a contrario, les détenteurs de résidences inhabitées qui pourraient les faire bénéficier de crédits d'impôt.

Pour les impôts recouvrés auprès des produc teurs, l'approche qui nous semble la plus prometteuse consiste à associer chaque branche (définie à un niveau détaillé, tenant compte éventuellement de la taille) à la négociation sur la modalité de remboursement (qui se fera généralement par des crédits fiscaux sur d'autres impôts).

Cette solution s’inspire de la manière dont le gouvernement danois a introduit, en 1995, une taxe élevée sur l’usage de pesticides : le gouvernement a consenti, en contrepartie, un remboursement aux agriculteurs indexée sur la valeur des terrains, via des réductions sur l’impôt sur les propriétés foncières. L’usage des pesticides était alors fortement corrélé avec la valeur des terrains pour l’agriculture : les plus grands contribuables à l’impôt sur les pesticides étaient donc aussi les plus grands bénéficiaires du remboursement. Mais, de cette manière, les comportements ont pu évoluer très rapidement, chacun étant incité à consommer moins de pesticides qu’une exploitation agricole de même taille et de même valeur.


2- Carburant et électricité



Les exemples concrets que nous allons brièvement développer sont fondés sur des impôts levés sur la consommation de carburant ou d’énergie –parce qu’ils sont alors directement en lien avec le défi du changement climatique et parce que les coûts administratifs de tels impôts sont réduits, ainsi que les possibilités de fraude– mais le principe que nous proposons est suffisamment général pour pouvoir s’appliquer à d’autres assiettes fiscales.

Les exonérations à la TIPP devraient être progressivement remplacées par les mécanismes de remboursement que nous avons évoqués. Chaque branche ou catégorie productive, devrait être laissée libre de négocier en son sein et avec l’Etat, pendant un certain temps, l’indice retenu pour le remboursement. Dans beaucoup de cas, l’option par défaut serait probablement la TVA : ainsi, les taxis se verraient restituer une part de la TIPP en fonction de leur chiffre d’affaires. Les conducteurs auraient donc intérêt à acheter des voitures à faible consommation, et à adapter leur style de conduite afin de réaliser des économies d’essence.

La récente proposition de remplacement du chèque transport par une prime transport directement versée sur la fiche de paie, annoncée par M. Fillon, pourrait être l’occasion de mettre en place ce principe pour les particuliers : l’aide devrait être indexée sur des conditions objectives de difficulté de déplacement, mais elle ne devrait en aucun cas constituer un frein au développement de formes créatives pour réaliser des économies d’énergie, à l’instar du covoiturage. Il est imaginable, par exemple, d’attribuer une aide uniforme aux travailleurs d’une même commune.

Dans le cas d’un impôt écologique sur la consommation d’électricité, on peut imaginer que le remboursement prenne la forme d’une allocation universelle, justifiée par le fait que chaque habitant a droit à une consommation de base en énergie. En pratique, cette allocation pourrait prendre la forme d’un abattement sur la facture électrique pouvant aller jusqu’à une facture négative, pour que les personnes qui consomment moins que la base ne soient pas incitées à augmenter leur consommation.


Cette facture écologique aboutirait à garder le même coût moyen de l’énergie, tout en augmentant le coût marginal, ce qui inciterait aux économies d’énergie.


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