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Les deux corps de l'Europe, par Pierre Haroche



Alors que le Conseil européen vient de nommer le Belge Herman Van Rompuy pour devenir son premier président stable, la plupart des commentateurs expriment leur déception. Quoi ? Cet inconnu, le "président de l’Europe" ? La clef-de voute du traité de Lisbonne ? Celui qui était censé donner un visage à l’Union, face à ses citoyens et face au monde, ne sera en fait qu’une personnalité de compromis un peu falote ?


En fait, cette déception est tout à fait révélatrice de l’ambigüité profonde de l’Union européenne d’aujourd’hui. D’un côté, tout dans le discours officiel des dirigeants européens, des défenseurs du projet de Constitution puis du traité de Lisbonne, cherchait à entretenir l’espoir d’un président fort et charismatique, d’une sorte d’homologue du président des Etats-Unis. Mais d’un autre côté, absolument rien dans le dispositif institutionnel prévu ne permettait de corroborer ces attentes. Et comme toujours en politique, la réalité a fini par rattraper le mythe.

Premier mythe : l’Europe aura désormais un président. En réalité le nouveau président ne sera qu’un président du Conseil européen, c'est-à-dire des sommets semestriels réunissant les chefs des exécutifs européens. Il ne disposera d’aucune administration ni d’aucune arme institutionnelle particulière si ce n’est sa capacité à orienter le débat de ses pairs.

Deuxième mythe : la fin des présidences tournantes. Là encore, cela ne concerne en fait que les réunions au sommet. Les réunions régulières du Conseil de l’Union européenne à l’échelon des ministres, des ambassadeurs et des groupes de travail, continueront à être présidées par les représentants de l’Etat membre assurant la présidence tournante.

Enfin troisième mythe : l’Union sera incarnée aux yeux du grand public. C’est le mythe le plus flagrant. Le nouveau président a été nommé par le Conseil européen, c'est-à-dire par les représentants des Etats-membres. Comment pourrait-il être autre chose qu’une personnalité de compromis, promettant de ne pas faire trop d’ombre à ceux qui l’ont désigné ? En réalité, l’instauration d’un président du Conseil européen stable ne visait absolument pas à répondre à une quelconque attente citoyenne, mais bien plutôt à renforcer le Conseil au détriment de la Commission européenne dont le président se trouve désormais concurrencé dans son rôle de représentant de l’Union.

L’erreur serait ainsi de croire que tout le problème réside dans le choix de la personne. Même si, par extraordinaire, un candidat à forte stature comme Tony Blair avait été désigné, il n’aurait certainement pas eu les moyens institutionnels et politiques de conférer à cette fonction un rôle décisif. Ce sont les institutions et les circonstances politiques qui favorisent tantôt les leaders forts, tantôt les falots consensuels, pas l’inverse. Et de ce point de vue, le président du Conseil européen ressemble bien plus à un président de la IVème République française qu’à un président des Etats-Unis.

Aujourd’hui, tout se passe comme si l’Union européenne devait en permanence mythifier sa propre identité. Il y a d’une part l’Europe réelle, qui repose encore largement sur les négociations confidentielles et les personnalités de compromis, et d’autre part l’Europe mythique, celle qu’on promet aux citoyens, faite de débats démocratiques et dirigée par une personnalité charismatique capable d’incarner une volonté européenne. Cette contradiction permanente entre le discours et les faits ne pourra être levée que lorsque la prédominance du pouvoir démocratique sera véritablement inscrite dans les institutions, par l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel direct par exemple.

En un sens, Herman Van Rompuy incarne parfaitement l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui. Ce qu’il ne peut pas représenter en revanche, c’est l’Europe telle qu’elle voudrait se donner à voir auprès des citoyens. Le deuxième corps de l’Europe en quelque sorte, qui, comme le deuxième corps du roi chez Kantorowicz, viendrait assurer la légitimité du premier.



Pierre Haroche

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