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Born again party, par Pierre Haroche



Le parti socialiste est-il mort ? Cette question s’impose à tout lecteur de la presse de ces derniers jours. Le chœur unanime des analystes et autres éditorialistes se complait en effet à annoncer la décomposition du parti socialiste, certains pour s’en lamenter, d’autres pour s’en réjouir, voire à s’inquiéter pour la santé de la démocratie française condamnée désormais à survivre sans opposition sérieuse. Pour y voir plus clair, reprenons dans l’ordre les étapes de cette catastrophe supposée.


Acte I : le Congrès manqué. Les « querelles d’ego », l’absence de solidarité ont raison de l’unité du parti. Les différentes motions refusent de fusionner et s’en remettent au vote des militants. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose ? Uniquement si l’on reste attaché à une vision archaïque du parti où le vote des militants n’est rien et où les marchandages nocturnes de la commission des résolutions sont tout. Une vision quasi clientéliste dans laquelle les chefs de motion sont suivis aveuglément par leurs troupes et dirigent le parti entre eux, en se répartissant des postes à huis clos. En réalité, l’échec du Congrès a été une bonne chose car il a permis l’avènement de la démocratie et de la transparence.

Acte II : le parti déchiré. Au lieu de se réunir enfin derrière un premier secrétaire consensuel, les militants se divisent en deux camps à peu près égaux. Tout le monde panique et les oracles en rajoutent : le parti va exploser, Bayrou et Besancenot vont se retrouver tout seuls face à Sarkozy… Gardons notre sang froid. Que montre ce résultat ? Avant tout que le consensus mou des années Hollande est derrière nous. Les candidates sont parvenues à susciter l’adhésion des militants et à les mobiliser massivement dans une compétition passionnée. Bref, le parti est vivant.

Acte III : le dénouement. Après trois jours d’attente et un long recomptage, Martine Aubry est finalement déclarée vainqueur et devient la nouvelle première secrétaire. Les esprits chagrins répondront que ces longues semaines de division et de recomptage ont malgré tout fait le jeu de la droite. Est-ce si sûr ? Beaucoup faisaient la même remarque aux Etats-Unis pendant les dernières primaires du parti démocrate. Et là, il ne s’agissait pas de quelques semaines, mais de près de six mois durant lesquels Barack Obama et Hillary Clinton étaient au coude à coude et s’affrontaient parfois à coup de phrases assassines. Pendant ce temps, les Républicains avaient déjà désigné leur candidat et se frottaient les mains. Le parti démocrate a-t-il explosé ? A-t-il fait le jeu des Républicains ? Non, il a gagné, en partie parce qu’il a montré que c’était chez lui que le débat avait lieu et qu’il a ainsi permis à son leader de se prévaloir d’une authentique dynamique populaire.

On sous-estime souvent la puissance de la démocratie. Au cours des grands conflits mondiaux du XXe siècle, de nombreux observateurs pessimistes se sont lamentés sur la supposée faiblesse des démocraties par rapport aux dictatures en raison des divisions et des affrontements qu’elles entretiennent en leur sein. Et pourtant, après chaque conflit majeur, les régimes autocratiques, fascistes ou communistes se sont effondrés les uns après les autres. Les démocraties elles, sont toujours là. Parce qu’en offrant à leurs citoyens un débat public et transparent, elles se sont aussi garanti une légitimité plus solide.

Peut-être qu’à court terme l’intensité de la compétition interne suscitée par les récentes élections affaiblira le parti socialiste. Mais elle manifeste aussi et surtout un phénomène infiniment plus profond. Aujourd’hui en France, le vrai débat public et transparent, le vrai renouvellement démocratique du personnel politique, incluant notamment le rajeunissement et la féminisation, n’ont lieu nulle-part, sauf au parti socialiste. L’UMP, qui ne permet aucun débat interne et dont la dernière lutte de leadership entre Villepin et Sarkozy s’est réglée via l’affaire Clearstream, semble sortir d’un autre siècle. Nul autre parti que le parti socialiste n’a jamais donné autant de pouvoir de décision au vote de ses adhérents. Nul autre parti n’a jamais autant publicisé ses débats internes au point de captiver les Français et d’accaparer l’attention médiatique comme s’il s’agissait d’élections nationales.

Le parti socialiste, hier encore qualifié d’inaudible, est devenu en quelques semaines le cœur vivant de la démocratie française. Cela s’est fait dans la douleur mais il faut voir cette mutation comme un pari sur l’avenir. C’est aujourd’hui que commence à se bâtir la légitimité d’un futur gouvernement socialiste. Et n’oublions pas qu’à la fin, ce sont souvent les démocraties qui gagnent.

Le parti socialiste est-il mort ?

En un sens. Il renaît.



Pierre Haroche

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