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Une once de distance critique, par Julien Jeanneney



Le métier de journaliste politique repose sur un équilibre difficile : d'un côté, il faut être suffisamment proche de ses sources pour accéder à l'information et nourrir ses articles de commentaires "off"; de l'autre, il faut conserver la saine distance qui permettra, en toute situation, de les critiquer. Ceux des journalistes qui ne respectent pas la première règle sont condamnés à ne travailler que sur de l'information indirecte. Ceux qui ne respectent pas la seconde sacrifient leur indépendance journalistique sur l'autel d'une dangereuse complaisance. Les premiers ont du mal à faire leur travail. Les seconds font semblant de le faire, ce qui est plus grave encore.

Savoir conserver une once de distance critique est donc le moins que l'on puisse attendre de la part d'un journaliste politique. Lorsque cette distance s'efface, le journaliste s'expose non seulement à un blâme moral, mais il risque le discrédit.

Il est certes facile de moquer la proximité qui unit un journaliste et un personnage politique. Celle-ci apparaît le plus souvent au détour d'une image volée, souvent avant ou après une émission, lorsque les caméras filment les protagonistes à leur insu.
Etienne Mougeotte et François Léotard en avaient fait les frais en 1994. Roselyne Febvre, journaliste sur France 24, et Rachida Dati viennent de subir le même sort. On a bien le droit de sourire de ces images.

Mais il est plus ennuyeux d'abandonner cette distance critique au profit de solidarités dangereusement évidentes.

Ouvrons donc le dernier numéro du
Point, daté du 17 avril, dans lequel Sylvie Pierre-Brossolette, chef du service politique, consacre huit pleines pages à Nicolas Sarkozy. Alors que le Président est au plus bas dans les sondages, que les querelles avec le Premier ministre concentrent toutes les attentions, on pourrait croire en la lisant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le Président a changé, et il est vraiment époustouflant! A propos de Michèle Alliot-Marie et de l'hypothèse de son arrivée à Matignon, la journaliste écrit : "Le président pourrait finir par songer à elle [...]. Là encore, le scénario serait surprenant, mais le chef de l'Etat est si pragmatique...". Elle choisit des sous-titres à la mesure de l'article: "un surcroît d'habileté", "Carla Bruni-Sarkozy, une vie trépidante". L'article tout entier n'est qu'une succession d'émerveillements.

On m'objectera que le journal
Le Point est ouvertement de droite. Personne ne s'en cache dans le journal, et Sylvie Pierre-Brossolette interroge d'ailleurs, dans ce même numéro, celle qui lui a précédé au service politique et qui conseille désormais le Président, Catherine Pégard. Reste qu'on ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise, lorsque l'indécence se mêle ainsi au ridicule. Heureusement, il nous reste le Canard enchaîné...


Julien Jeanneney

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