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100€ + 100€ = 1000€, l'inégalité face à la crise, par Jeanne-Marie Roux



Et si nous revivions la crise de 1929 ? Les moments de l’histoire auxquels sont le plus rapportés les bouleversements actuels sont bien plus récents, mais le spectre qui hante nos esprits, c’est cette crise lointaine, dont les conséquences désastreuses ont marqué l’histoire du premier vingtième siècle. Le catastrophisme si naturel à notre temps trouve dans la perspective de son retour de quoi alimenter nos angoisses sur l’avenir, ce qui ne fera pas remonter la consommation, ni l’investissement des entreprises, et ne fera pas plaisir à "monsieur son mari", ni aux quelques hommes qui habitent notre belle planète avec lui. Mais ne soyons pas fatalistes, les hommes apprennent de leurs erreurs, paraît-il, le pire n’est pas toujours sûr. Alors tâchons d’apprendre, nous aussi, des erreurs du passé. Que faire ? En 1929, ceux qui n’ont pas voulu voir la crise s’y sont mal préparés –pour notre part, nous pourrions dès aujourd’hui faire des provisions de pâtes et de sauce arrabiata, et prévoir, parce que nous sommes généreux, de les partager avec notre voisin imprévoyant. Mais nous pourrions aussi, si le cœur nous en dit, tenter de réfléchir à l’équilibre des pouvoirs que révèle une telle crise, et ne pas hésiter à le juger.

D’après Monsieur Jacques Attali, qui parlait hier matin ( 1er octobre) sur France Inter, "telle que se déroule la crise aujourd’hui, ce n’est pas du tout la déroute du capitalisme financier, c’est lui qui est en train de gagner". En effet, a-t-il immédiatement justifié, si les contribuables acceptent de payer les augmentations d’impôt destinés à payer les plans de crise lancés par leurs banques centrales respectives, ils paieront des sommes importantes : il est par exemple estimé que chaque américain va payer en moyenne pour le plan Paulson un montant de 2000 Euros. Mais si les contribuables refusent de payer l’impôt, ils paieront les frais en tant que consommateurs et épargnants sous la forme de l’inflation. Bien sûr, nous ne pouvons pas trouver cette issue (et nous serons heureux si les dégâts s’arrêtent là) satisfaisante. Car non seulement cette crise va coûter cher, mais elle va coûter cher à des gens qui n’ont, à son égard, aucune responsabilité ! Alors nous pouvons nous plaindre des erreurs commises tout en jugeant que les fautes sont purement individuelles, et estimer que le "grand méchant marché" –pour reprendre l’expression des économistes David Thesmar et Augustin Landier– se régulera de lui-même, ou qu’en tout cas, il n’y a aucune raison pour que le politique vienne s’occuper d’une sphère économique qui fonctionne mieux sans lui. Après tout, une telle inégalité peut n’être qu’un accident malheureux sur le chemin caillouteux du marché pur et parfait. Ou nous pouvons douter de la capacité de la sphère économique à parvenir d’elle-même à un équilibre satisfaisant, parce que l’importance des enjeux est telle qu’on ne peut punir tout à fait les méchants, les fautifs, et que les dommages –étrangement– sont toujours mieux répartis que les profits, boni et autres parachutes dorés.

Devons nous dire, alors, que les riches s’en sortent toujours ? Bien évidemment, non, mais l’inéquitable répartition des coûts de la crise semble être une conséquence structurelle de notre système. En effet, l’inégalité de traitement entre les uns –ceux qui n’ont pas grand-chose et qui ont le malheur de travailler dans une usine dont la rentabilité ne suffit pas à empêcher la délocalisation– et les autres –ceux qui ont du patrimoine et qui ont le tort d’avoir exigé de leurs traders qu’ils spéculent au-delà de toutes les règles de la prudence– nous fait bien sentir une chose : les règles du jeu économique mondial sont dictées par ceux qui ont du bien, ou du moins, en leur faveur. Et cela ne peut que nous alarmer : est-ce bien compatible avec les valeurs de notre démocratie ? Le pouvoir de l’argent n’est-il pas tel qu’il contredit le principe d’égalité entre les hommes, principe qui fonde notre régime ?

On pourrait arguer que le libéralisme économique n’oblige personne à rien, que les hommes restent égaux en droit. Et de fait, rien n’oblige personne à se soucier de la sphère financière, rien n’oblige aujourd’hui celui qui n’aime ni la finance ni le luxe à "perdre sa vie à la gagner". A la nuance près que celui qui désire peu d’argent va payer le prix, avec le peu d’argent qu’il a désiré avoir, des extravagances de ses contemporains. C’est donc que, plus on possède d’euros, plus chaque euro donne du pouvoir. Être un consommateur, un épargnant ou un investisseur, cela ne confère en soi aucun pouvoir, ou presque aucun pouvoir, car seul compte alors la taille du porte-monnaie. C’est donc que, si l’on veut que ses petits euros aient autant de pouvoir que les euros du voisin, il faut en avoir plus. On n’oblige personne à rien, c’est bien cela. Et l’égalité de l’homme serait proportionnelle ? On ne m’avait pas prévenue.

Les hommes du XXIème siècle sont en quête des valeurs essentielles, nous dit-on. Et pourtant on dérégule, on déconstruit nos acquis sociaux. Serait-ce que la surenchère de ceux qui désirent plus, plus d’argent, plus de pouvoir, tire tout le monde vers le haut ? A moins que ce ne soit vers le bas. Et si l’on considère la situation à un niveau international, le scandale est encore bien plus éclatant. Le 9 avril dernier, M. Jacques Diouf, Directeur général de la FAO, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, estimait que les prix des denrées alimentaires au niveau mondial avaient bondi de 45 % sur les neuf derniers mois et qu'il y avait de sérieuses pénuries de riz, de blé et de maïs. Or, au même moment, l’association Caritas International lançait
un cri d'alarme: "Les céréales sont devenues un objet de spéculation et ce sont les malheureux qui en paient le prix". Selon Philippe Pinta, président de l'Association générale des producteurs de blé (France), la part de la spéculation dans le cours du blé atteint 20 %. Mais, évidemment, les populations victimes des spéculations alimentaires n’ont pas d’argent, donc elles n’ont pas de pouvoir, elles ne "comptent" pas, et c’est un état de fait qui ne peut satisfaire aucun homme soucieux de la hiérarchie des valeurs de nos (pauvres) vies.

La solution appelée de tous les vœux ? La régulation. Nous y joignons les nôtres car, sans elle, la crise récente nous le démontre encore une fois, notre démocratie est menacée de n’être qu’une démocratie de pacotille, de surface, privée de tout pouvoir sur la sphère économique, libre alors d’exercer son pouvoir sur l’ensemble de la société : celui qui ne peut manger ne peut voter. Il n’est d’ailleurs ici nullement question de morale, mais de politique et de démocratie. Si nous vivons en démocratie, c’est que nous jugeons que les hommes sont égaux, et qu’ils doivent être considérés tels en droit. En tout cas, c’est que nous considérons que les autres solutions sont pires ; voulons-nous vraiment renier notre régime ? Les émeutes de la faim –et même, dans une moindre mesure, le refus du parlement américain de voter le plan Paulson dans sa première version– ont déjà prouvé qu’un jeu de dupes ne peut durer longtemps, et que le pouvoir laissé à l’argent est une force ôtée à la démocratie pour assurer la stabilité et la paix d’un pays. Indépendamment de toute morale ou de toute bonne conscience, donnons donc un sens à cette démocratie, régulons l’économie. Alors oui, cela est compliqué par la mondialisation, par la force grandissante des pays émergents, avides de développement économique, mais il est du devoir de nos (relativement) vieilles démocraties de ne pas abandonner les ambitions de la politique à gouverner le monde.


Jeanne-Marie Roux

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