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"Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat !", par Mathias Chichportich



À l’heure où les préfectures deviennent le lieu d’empoignades passionnées sur les valeurs abstraites de l’identité nationale, on s’étonne que, dans les couloirs de la Chancellerie, les conditions concrètes de la garde à vue fassent l’objet d’un débat aussi tiède.

La garde à vue, mesure privative de liberté entreprise à l’encontre d’une personne suspectée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction, n’en finit pas de susciter la controverse. Il y a déjà plusieurs mois, l’association "Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat" a alerté la Garde des Sceaux sur l’incompatibilité du système français avec la Convention européenne des droits de l’Homme. Soutenue récemment par le bâtonnier de Paris, Me Charrière-Bournazel, l’association milite pour que l’avocat ait accès au dossier, et qu’il soit placé aux côtés de la personne gardée à vue durant l’interrogatoire.


En droit français, l’accès à un défenseur se limite actuellement à un ou deux entretiens de trente minutes, dans le meilleur des cas lors de la première heure de garde à vue, mais sans consultation préalable du dossier. Au cours de cette phase de la procédure dont la durée peut s’étaler jusqu’à quatre-vingt seize heures, l’avocat ne peut donc ni informer le mis en cause de la nature des indices qui sont retenus contre lui, ni même l’assister lors des auditions.
Sans s’être prononcé directement sur le système français, la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà affirmé, à plusieurs reprises, qu’il est en principe "porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation" (CEDH 27 novembre 2008,
Salduz c/ Turquie ; CEDH 19 novembre 2009, Oleg Kolesnik c/ Ukraine).

S’appuyant sur cette jurisprudence, un juge des libertés et de la détention a prononcé, le 30 novembre dernier, la nullité d’une procédure faute de l’assistance d’un avocat durant la période de garde à vue. Le 10 décembre, un autre magistrat a refusé, sur le même fondement, de prolonger la garde à vue d’une personne suspectée de trafic de stupéfiants.

Face à une telle insécurité juridique, les déclarations de Madame Alliot-Marie sont d'une étonnante timidité. Selon une note adressée aux procureurs, la Chancellerie estime que l’absence d’un avocat au cours de l’interrogatoire "n'a de conséquence que sur la valeur probante des déclarations du mis en cause". Aux termes de son analyse, le ministère de la Justice conclut que l’entretien tel qu’il est prévu par les textes actuels suffit à rendre le système compatible avec les exigences européennes. Le seul aménagement pour l’instant envisagé est celui proposé par le comité de réflexion sur la justice pénale (dit "comité Léger"). Il s’agirait de permettre l’accès de l’avocat aux procès verbaux d’audition à la douzième heure de garde à vue, sa présence durant l’interrogatoire n’étant tolérée qu’à l’issue de la vingt-quatrième heure.

Au delà du débat strictement juridique, la question renferme avant tout un enjeu politique. L’articulation à opérer entre la protection de l’ordre public et le respect des libertés individuelles reste un point de clivage appréciable. Au lieu de chercher à concilier ces deux impératifs, la politique pénale menée par le gouvernement tend manifestement à les opposer. Selon la rhétorique désormais bien rodée du Président de la République, mieux vaut une ou deux détentions abusives qu’une dizaine de criminels potentiels en liberté. Lecteur apparemment fidèle d’Albert Camus, Nicolas Sarkozy devrait pourtant garder à l’esprit que "si l’homme échoue à concilier la liberté et la justice, alors il échoue à tout".



Mathias Chichportich

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